« La Croix » du 22 février 2021 présentait son cahier central en 1ère page :
« « La Croix », a enquêté pour tenter de comprendre comment ces deux dominicains, condamnés par Rome en 1956 dans une affaire mêlant mystique et abus sexuels, ont pu faire école en toute impunité« .
Les deux points évoqués – la condamnation de 56, et la mystique sexuelle – méritent quelques précisions pour sortir de ce brouillard toxique du doute !
La condamnation de 1956.
Préalablement, il y a une insinuation sur un « atavisme » dans la famille Philippe en remontant jusqu’au père Dehau. La réalité est pourtant beaucoup plus simple : le père Thomas n’a pas pu – ou pas voulu – se défendre, d’où sa condamnation. Et son frère le père Marie-Dominique(1) qui pris sa défense aurait été sanctionné au dire de ses « frères » dominicains qui se « réveillent » pour crier à leur tour « haro sur le baudet ».
À la lecture du cahier central (p.14 et 15), nous comprenions l’impossibilité d’accéder aux archives du Saint Office, malgré un accord de principe. Par conséquent, personne n’est en mesure de connaitre les faits. Curieusement, cela n’a pas empêché L’Arche et Saint-Jean de proclamer que le père Thomas PHILIPPE « avait entrainé des femmes vers des moments d’intimité sexuelle par des justifications mystiques et théologiques, allant parfois jusqu’à fausser leur conscience. » Affirmation gratuite puisque, effectivement, personne n’a eu accès aux archives !
Toutefois, et pour mieux assoir cette affirmation imaginative, les autorités communautaires (L’Arche en 2015) et religieuses (Saint-Jean en 2019) ont contourné cet obstacle du Vatican. D’ailleurs, « La Croix » explique ce détour à sa manière : « Cependant d’autres sources [qui] ont permis d’entrevoir, déjà les ressorts de l’affaire : la correspondance, publiée en 2005, de Jacques Maritain et de Charles Journet.«
Déjà en 2016 , nous avons pris le temps de relire ces évènements cités avant la fondation de L’Arche. J’ai parcouru de manière assidue, la « Correspondance JOURNET MARITAIN » (Vol. IV – 1950-1957) mentionnée dans les déclarations de L’Arche. Le père Thomas PHILIPPE y est cité 40 fois ! Sans compter le chapitre final (p.860-864) qui lui est entièrement consacré, et dans lequel le Cardinal COTTIER et René MOUGEL résument ce que l’on a appelé « les évènements de l’Eau Vive ». Mais que sont au juste ces évènements dont on ne connaît pas bien la nature ? Dans ces notes, nous comprenons aisément des divergences théologiques (p.140), ou des questions de gouvernement (p.156-157 et p.176).
Ce sont essentiellement les deux points qui ont semé la confusion dans les années 1950-1957. Cela avait aboutit – inévitablement – à des incompréhensions (p.140), des indiscrétions (p.182), des rancunes (p.205) et malheureusement… à des calomnies (p.261) !
Rien n’y est dit clairement. Nous lisons seulement des allusions comme partout ailleurs. D’ailleurs, dans la note finale, ces allusions sont résumées ainsi : « Y eut-il, de la part du Père Thomas Philippe, simples imprudences, ou propositions et actes déréglés?« , questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre en nous basant sur cette correspondance qui reste insuffisante pour assoir les rumeurs. Cette lecture attentive ne permet donc pas, de passer du terrain des suppositions à celui des preuves et des certitudes.
La théologie mystique du père Thomas.
Nous n’enlevons rien à ces deux amis « en odeur de sainteté » du Père Thomas et collaborateurs de l’Eau Vive. Mais allons un peu plus loin… en développant notre 1ère lecture sur cette fameuse p.140 de la « Correspondance JOURNET MARITAIN »(2). C’était, incontestablement, une divergence théologique.
De formation thomiste, le père Thomas expliquait qu’en mariologie, l’union physique entre Jésus et Marie doit se comprendre du côté de l’Incarnation qui a donné une empreinte définitive entre le Nouvel Adam et la Nouvelle Ève. Ainsi, Marie était l’Épouse mystique du Christ(3). De son côté, Jacques MARITAIN avait un avis divergent – c’est bien légitime – en considérant que « Tout était dans la Maternité de Marie« . Il concluait donc sa réflexion à propos du père Thomas : « Cette manière de vouloir faire de la Sainte Vierge l’épouse de son fils m’exaspère et me scandalise« (2), réagit à l’époque Jacques Maritain.
La divergence théologique ne va pas plus loin : Épouse mystique d’une part, Maternité de Marie d’autre part. Dans sa théologie mystique, le père Thomas prenait la pensée analogique en parlant du toucher, la 1ère sensation la plus radicale. Ainsi la saisie du toucher sensible permettait d’entrer dans le mystère du toucher mystique. Pas plus ! La pensée analogique nous montre que le toucher sensible est une chose, et que le toucher mystique est autre chose. C’est l’immense bénéfice d’une pensée humaine, malheureusement insaisissable par notre esprit moderne et univoque.
La théorie mystico-sexuelle.
Ainsi, le père Thomas ne confondait pas union mystique et union physique au sens sexuel du terme. Nous avons également fait l’enquête sur ce point. L’amalgame est impossible. Ni la lecture des publications du père Thomas (2.1), ni l’écoute des enregistrements de ses conférences ne prêtent à confusion.
Mais pour rendre ces accusations plus vraisemblables et plus crédibles, c’est une théorie mystico-sexuelle qui a été élaborée et développée par une théologie de seconde zone, ne comprenant rien à la pensée analogique du père Thomas selon sa formation dominicaine. Cette nouvelle idéologie est venue comme une vague : «Le père Thomas aurait dévoyé une mariologie pour l’utiliser à des fins pédagogiques en voulant communiquer une expérience mystique par des actes sexuels », avons-nous lu !
C’était le point de départ du raz de marée que nous connaissons. Un déluge qui a même emporté L’Arche sur son passage !
L’enquête sur Jean VANIER.
Et le fondateur de L’Arche n’a pas non plus été sauvé des eaux ! Malheureusement, cette enquête de février 2020(4) souffre d’une grave indigence intellectuelle !
Remarquons au préalable, que ce rapport de synthèse n’est pas signé, et a été élaboré avec la collaboration d’un organisme dont le métier consiste à proposer auprès des ONG des mesures de précautions surtout pour rassurer les donateurs et les pouvoirs publics. Nous nous sommes donc étonné que L’Arche ait fait appel à GCPS consulting qui se targue de travailler pour de nombreux organismes ou associations clairement opposés à l’Église (ONG ouvertement pro-avortement et pro-LGBT comme IPPF, British Council, USAID, Planning Parenthood, Unicef, etc…) mais GCPS consulting n’a pas de compétence particulière dans l’investigation policière et judiciaire.
Une seconde remarque s’impose. C’est la norme de preuve adoptée dans l’enquête ? Il est étonnant de lire cette phrase : « Toute conclusion d’une enquête de ce type est basée sur un » équilibre de probabilités » et non sur une norme de preuve » au-delà de tout doute ». Compte tenu des informations disponibles, l’équipe en charge de l’enquête est parvenue à ses conclusions en déterminant si les événements étaient » plus susceptibles que non » de s’être produits, et si les témoignages qui lui ont été présentés étaient dignes de foi ».
C’est ainsi que « l’équipe » de GCPS consulting s’est érigée en tribunal qui juge en dernier ressort selon son « intime conviction » et par des calculs probabilistes. De façon scientifique il faudrait conclure que la probabilité que Jean VANIER ait abusé de femmes est supérieure à 50,1 % … C’est assez peu pour se soumettre aux conclusions de l’enquête ! Et si nous montrons cette enquête à un homme de droit, il nous rira au nez en nous répondant que le déficit de réflexion est abyssal !
Pour conclure.
À la lecture du cahier central de « La Croix« , et terminant également la lecture de « L’emprise « , biographie parue à l’automne, de Michèle-France PESNEAU – prétendue victime des deux pères PHILIPPE –, nous ne pouvons pas nous empêcher de pense à Nietzsche : « Il n’y a pas de faits, rien que des interprétations. »
Plus récemment, au début des années 70, Michel FOUCAULT(5) considérait que le désir naturel de vérité, vu comme fondement pour une recherche de la sagesse devait être réinterprété…… Nous y sommes !
Dominique GILBERT.
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(1)Le père Marie-Dominique n’a pas été « privé de ministère ». Il a été seulement écarté de Bouvines en 57 – pas plus –, son supérieur lui ayant demandé de ne plus y prêcher… pour avoir défendu son frère ! Attitude très difficile à comprendre aujourd’hui dans notre culture qui prône davantage la dénonciation.
(2) Dans le livre IV (p.140), Jacques Maritain écrit à Charles Journet : Je pense à l’Esprit de l’Eau Vive. Entre nous, le rapport du père Thomas au Congrès Marial m’a mis extrêmement mal à l’aise. Est-ce là de la sagesse théologique ? La sagesse est sapida scientia. Et cette manière de vouloir faire de la Sainte Vierge l’épouse de son Fils m’exaspère et me scandalise, comme s’il ne suffisait pas de sa Maternité, comme si tout n’était pas dans sa Maternité(x) !
(2.1) Dans un conférence de 1950 intitulé « Marie, divin remède aux erreurs de notre temps« , le père Thomas avait à plusieurs reprises, à propos de la Mère de Jésus, utilisé les expressions de « Bien Aimée », « épouse mystique de Jésus » ; avant de dire, dans sa conclusion que « Jésus et Marie, le nouvel Adam et la nouvelle Eve, nous donne le sens profond de la diversité des sexes dans les desseins de Dieu ». « Tout est dans la Maternité », dit Maritain, rendant ainsi hommage à la thèse centrale de la mariologie de Charles Journet dont il venait de lire L’Eglise du Verbe incarné.
(3) À la suite de nombreux Saints dès les débuts de l’Église avec Saint Irénée, puis tout au long de l’histoire avec Saint François de Sales, Saint Jean-Eudes, Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, et jusqu’à nos jours, avec Lumen Gentium, Balthasar, Adrienne von Speyr, Saint Jean-Paul II … cette pensée ne demeure pas étrangère dans l’Église !
(4) Cette enquête se trouve sur le site de L’Arche.
(5) Professeur au Collège de France.